23 mai 1993; Managua, Nicaragua; El día en que nacióAntonio Santos Alvares voit le jour dans un quartier populaire de Managua. Esmeralda Alvares, sa mère le tient dans ses bras, pleine de sanglots. Elle n’était pas partie à l’hôpital pour accoucher, elle avait trop peur qu’il la trouve. Lui, le père de son enfant, un trafiquant colombien avec qui elle avait eu une brève aventure. Elle avait peur qu’il lui prenne son bébé et qu’il le vende à des blancs ayant trop d’argent comme c’est tellement le cas ici. Elle préférera dire à l’enfant qu’il est mort, ce sera moins compliqué. A côté d’elle se tient son frère, prêt à l’épauler dans toutes les épreuves qui allaient venir rythmer leur vie
12 novembre 1999 ; Managua, Nicaragua ; El día que estuvo encerrado +Antonio est assis à la table de la cuisine bien sagement, essayant de recopier les lettres que lui montre Señora Sánchez, une voisine de la famille ancienne institutrice qui s’occupait de son éducation. Sa mère et son oncle ne voulaient pas qu’il aille à l’école, ils ne voulaient pas vraiment qu’il sorte de la maison de peur qu’on le retrouve. Mais le petit aimerait bien goûter au monde extérieur et jouer avec les autres enfants de la rue au football. Il ne comprenait pas pourquoi lui devait rester enfermé.
21 novembre 2000 ; Managua, Nicaragua ; El día que fue liberado + Il l’a enfin eu, son premier goût de liberté. Sa mère était partie travailler et son oncle avait eu le droit à une visite improvisée. Le jeune Antonio s’était donc retrouvé seul et en avait profité pour sortir discrètement de l’appartement familial. Il était parti jouer avec les autres enfants de la rue. Lorsque son oncle s’en était aperçu, il avait déboulé en hurlant tel un forcené :
« Mais tu es fou ! Rentre tout de suite avant que quelqu’un ne te voit ! ». Au final à trop vouloir être discret c’était lui qui avait fait une scène. Antonio était donc rentré à la maison, la tête baissée et traînant des pieds. Il avait eu le droit à son premier goût de liberté, il n’allait maintenant plus pouvoir s’en passer.
21 août 2004 ; Managua, Nicaragua ; El día que se fue + Le petit Antonio est bien sagement en train de jouer dans la pièce à vivre sous l’œil à moitié endormi de Señora Sánchez, lorsque son oncle entre dans la pièce en courant, empli de peur et de sueur. Il attrape le petit par les épaules, lui disant
« Prend ton sac et quelques affaires, on s’en va d’ici ! Fais vite ! » Antonio le regarde abasourdi, il ne comprend absolument rien à ce qui est en train de se passer.
« On a fait une grosse bêtise avec ta mère. On lui a volé de l’argent, beaucoup d’argent et maintenant il est après nous. – Qui ça ? – Ton père ! » Son père ? Mais son père était mort avant même sa naissance. Qu’est-ce qu’il pouvait bien raconter ?
« Dépêche-toi on n’a pas le temps ! » Antonio s’exécute sans poser plus de questions, il remplit son sac de quelques affaires tandis que son oncle écongédie Señora Sánchez. Les deux sortent ensuite de l’appartement pour monter dans une voiture plus que louche.
« Et maman ? » Un long moment de silence s'installe.
« Ce n’est plus que nous deux maintenant ! » 30 août 2004; Spanish Harlem, New York ; El día en que se convirtió en otro + Après une longue semaine de voyage qui avait semblé des années, Antonio et son oncle étaient enfin arrivés à destination : New York, Etats-Unis. Antonio était émerveillé : il avait vu des photos de cette ville dans les vieux livres que lui montrait Señora Sánchez, mais il n’avait jamais pensé qu’il y vivrait un jour. Elle ne cessait de lui répéter que c’était une ville pleine d’or et de gringos et que si le diable avait une maison elle se trouvait certainement là-bas. Elle n’était pas très fan des américains, comme la plupart des gens de son pays. Mais lui aimerait bien rencontrer le diable, ça ne le dérangerait pas de danser avec lui, il ne le craignait pas. Malheureusement ils n’avaient pas le temps pour faire du tourisme, ils devaient se montrer efficaces et discrets et rejoindre leur nouveau chez eux au plus vite. C’est bien naturellement à East Harlem ou "Spanish Harlem", le quartier latino de Manhatan, que les deux allaient s’installer. Ils allaient rejoindre des cousins éloignés de la famille qui étaient arrivés aux Etats-Unis quelques années auparavant dans des conditions similaires aux leurs. Cette date marqua la fin d’Antonio Santos Alvares, il faisait partie du passé et devait être oublié à jamais. Il était désormais remplacé par Gabriel Augusto Bravo, une opportunité pour changer sa vie. Faux papiers, fausse identité, son oncle et lui-même devaient plus que jamais faire preuve de prudence, mais c’était décidé, cette fois-ci il se refuserait à vivre enfermé et caché comme on lui avait imposé au Nicaragua.
3 janvier 2005 ; Spanish Harlem, New York ; El día que se adaptó + Cela fait plusieurs mois que Gabriel est arrivé à New York et il s’est déjà plutôt bien adapté à sa nouvelle vie. Il ne parle pas un mot d’anglais, mais ce n’est pas si grave que ça puisque c’est le cas d’une grosse partie de la population ici. Il s’en sort plutôt bien à l’école –oui car désormais il a le droit d’aller à l’école- même si ses professeurs considèrent que personne n’a d’avenir ici et qu’ils devraient plus se concentrer sur les cours de mécanique que les cours de mathématiques. Mais mettre les mains dans le cambouis ça n’intéressait pas trop Gabriel. Son oncle n’avait pas le temps de le garder captif, il était obligé de travailler deux jobs pour survivre et n’avait que très peu de temps libre. Ca arrangeait bien les affaires de Gabriel qui pouvait enfin vivre sa vie tranquillement. Pour aider son oncle, il avait commencé à coudre quelques vêtements qu’il vendait à ses voisines. C’est Señora Sánchez qui lui avait appris lorsqu’elle le surveillait. Un travail de fille certes, mais il était plutôt doué et avait un sens de la mode assez développé.
21 juin 2009 ; Midtown Manhatan, New York ; El día que se hizo hombre + Gabriel est un jeune garçon de 16 ans qui maîtrise enfin la langue anglaise malgré un accent prononcé et qui continue son petit bout de vie. Sa vie n'a pas tellement changé en cinq années, il va toujours à l'école, il continue son petit business de vêtements à côté, son oncle se tue toujours autant à la tâche et ils fuient toujours les services d'immigration. Il confectionne également ses propres vêtements pour avoir moins l'air de venir du ghetto et pouvoir traîner librement dans les quartiers plus chics de Manhattan. Il ne fait pas grand-chose dans ces quartiers, il se contente de regarder, il n'a pas l'argent pour dépenser de toute manière. Mais ce jour-là il tomba sur un homme à la quarantaine passée, originaire d'Europe et qui était à New York en voyage d'affaire. Ils s'étaient rencontrés comme ça, par hasard dans la rue et Gabriel semblait avoir immédiatement attiré l'attention de l'homme en question. Il était plutôt sympathique et se montra fort généreux avec le petit Gabriel : il l'emmena tout d'abord dans les plus grandes boutiques de vêtements de la ville pour lui acheter quelques tenues, puis l'invita dans un restaurant réputé avant de l'emmener dans une des boîtes les plus chics de New York. La soirée rêvée pour un jeune immigrant clandestin. Pour terminer la soirée, il lui proposa de boire un dernier verre à l'hôtel. Gabriel trouva l'idée un peu étrange, mais accepta tout de même, après tout ce qu'il avait fait pour lui ce serait impoli de refuser. Le jeune homme encore un enfant naïf ne s'attendait pas à ce que l'homme allait lui faire après...
1er juillet 2011 ; Spanish Harlem ; el día que se hizo adulto +Son dernier jour au lycée. Il a obtenu son diplôme avec des notes plus que satisfaisantes mais n’ira pas à l’université. Personne ne va à l’université ici, sauf s’il a un talent hors norme et qu’il réussit à décrocher une bourse. De toute manière, Gabriel n’a aucun intérêt à poursuivre ses études, son rêve est de travailler dans la mode. Il continue à confectionner ses vêtements, mais doit faire attention lorsqu’il les vend car apparemment cela s’apparente à du trafic. C’est un avocat influent avec qui il avait passé une nuit qui lui avait expliqué ça. Son oncle n’approuve pas du tout ce rêve. Il ne cesse de lui répéter :
« Rêver ce n’est pas pour les gens comme nous. Ce dont on a besoin c’est d’argent ». Mais Gabriel se refuse de faire des petits jobs qu’il déteste pour un salaire de misère. Il a réussi à trouver un poste comme vendeur de vêtement à Manhatan. C’est loin de chez lui, mais au moins ça lui plaît assez pour avoir la force de se lever chaque matin.
15 novembre 2016 ; Spanish Harlem, New York ; el día que se encontró solo + Gabriel rentrait chez lui au petit matin. Il venait de passer la nuit avec un investisseur venu tout droit de Los Angeles. C’était sa nouvelle stratégie depuis cette nuit à ses 16 ans : traîner dans un bar huppé et attendre qu’un homme seul ayant trop d’argent vienne l’aborder. Et ça marchait plutôt pas mal, ça lui permettait de recevoir quelques cadeaux. Lorsqu’il arriva à l’appartement, il fût surpris de ne pas y trouver son oncle. Il lui avait pourtant dit la veille qu’il ne travaillerait pas aujourd’hui et qu’ils pourraient passer la journée ensemble. Il se rendit chez la voisine, histoire d’en savoir un peu plus. Elle lui raconta ce qui s’était passé durant la nuit : comment l’immigration avait fait une descente assez violente dans le quartier et avait embarqué tous ceux qui n’avaient pas pu présenter des papiers en règle, y compris son oncle, comment maintenant plus que jamais il devait être prudent car la police avait un œil sur le quartier et apparemment plusieurs taupes. Pour la première fois de sa vie, Gabriel se retrouve seul, sans famille pour pouvoir l’épauler. Sa vie entière avait été une quête de liberté et pourtant alors qu’il était enfin sans la surveillance trop pressante de son oncle, il était moins libre que jamais.
aujourd'hui ; Spanish Harlem ; el día que la historia continúa Gabriel a 25 ans et pour le moment il a toujours réussi à échapper aux services d'immigration. Il sait qu'il doit absolument faire quelque chose concernant son statut, mais il ne sait pas encore comment régler cette histoire. En attendant il essaie tant bien que mal de quitter Spanish Harlem pour un meilleur quartier de Manhatan, il pense que là-bas ses chances d'être déporté seront plus faibles. Mais c'est compliqué avec un salaire de vendeur, surtout quand une partie de ce salaire va à destination de son oncle qui a été renvoyé au Nicaragua. Il continue son petit stratagème avec les hommes riches en visite à Manhatan, mais il va certainement devoir passer à une vitesse supérieure pour espérer s'en sortir. Ces rêves de devenir styliste semblent s'éloigner de plus en plus chaque jour, tellement il a de problèmes à gérer à côté. Peut-être que son oncle avait raison, peut-être que rêver n'était pas pour les gens comme eux...